Alixe FU à Blois

Marc Demoulin  Saint-Prix, le 28 mai 2004

Le Château de Blois, haut lieu de la Renaissance, accueille l’exposition des oeuvres d’Alixe Fu. Exposer dans ce lieu chargé d’histoire constitue pour Alixe Fu un geste majeur. Ces travaux présentés ici sont parmi les plus importants. Il y attache personnellement une valeur particulière comme témoins essentiels de sa création.

Tout commence dans son atelier, endroit mythique où l’alchimie de la création se consume.

Le visiteur a la sensation de rentrer au cœur du mystère. Dans cet entrepôt de toiles et de sculptures, des dizaines de tableaux sont empilés, la plupart retournés, les uns sont juste ébauchés, d’autres sont plus aboutis. Ces oeuvres sont là, multiples, en attente comme dans une sorte de pépinière. Elles naissent, évoluent et enfin matures peuvent quitter l’atelier.

Cet endroit est convivial. On y échange des appréciations et des silences, des émotions et de l’amitié. C’est surtout un lieu d’isolement et de solitude. Celle-ci est nécessaire à la création. L’artiste a besoin de suffisamment de vide et de tranquillité pour que l’étincelle fugitive et fragile de la création puisse se manifester, qu’il la recueille et allume le feu.

Le peintre s’immerge de longues heures dans cet univers où l’œuvre naît et se développe. Souvent, il ne fait rien. Apparemment, il ne se passe pas grand chose, mais une communication mystérieuse s’établit entre ses tableaux et lui. Alors les impressions lui viennent et ses visions se modifient. Ne rien faire n’est pas forcément perdre son temps. Il ne dort pas: il veille et dans le silence et la solitude, il ressent, il éprouve et finalement il crée. Un trop plein d’âme surgit et se déverse sur la toile exprimée par la peinture en forme et en couleur. A cette première éruption créatrice, succède de nouveau le vide. Puis le besoin se fait sentir, nécessité impérieuse, d’une nouvelle inspiration créatrice. Et ainsi, touche après touche, le tableau  s’achève.

Entre la naissance d’une oeuvre et son aboutissement, la durée est indéterminée. La plupart des tableaux sont là depuis des mois, parfois des années. De temps à autre, ils sont retouchés au gré des fluctuations de l’inspiration. Certains n’aboutiront jamais, égarés sur des chemins de traverse. D’autres avancent à leur rythme et à un moment, l’artiste a cette conscience de l’achèvement: il sait que tout est dit.

Pour 1’amateur, l’œuvre est là. Il l’aime ou ne l’aime pas selon qu’à travers elle, il entre en résonance avec son moi profond, son inconscient et celui de 1’artiste. Les bouleversements, les éruptions successives qui ont contribué à sa construction ne sont plus visibles. Tout s’est fusionné, solidifié dans un état définitif.

On voit bien que tous les tableaux, qui grandissent ensemble, sont d’une même facture. Ils subissent en même temps une même énergie créatrice et dans leur diversité, une même imprégnation. Ils constituent dans l’œuvre de l’artiste une période. Il en est plusieurs chez Alixe Fu, entrecoupées de périodes de doute, de vide et de toiles blanches.

Quand le flux de la création se tarit, naît 1’angoisse: « Et si c’était fini? Si je n’étais plus qu’un peintre mort condamné à répéter le passé? »  Mais non! Une nouvelle inspiration survient avec d’autres thèmes et d’autres styles. De nouveau, “la pépinière” se remplit de tableaux qui vont mûrir à leur rythme et recommencer un cycle.

Les thèmes d’inspiration des peintres sont souvent classables: paysages, marines, portraits, natures morte … Alixe Fu échappe à ces classifications. Sa muse le renvoie à 1’intime, à l’âme du vivant. D’où ces visages multiples, omniprésents, traités avec un mélange de symbolisme et d’abstraction en quête de vérités. Les visages et les expressions corporelles sont les plus fidèles reflets de 1’âme et sont partout dans son oeuvre. Il peint ce qu’il ne sait dire et ne peut expliciter.

Alixe Fu, homme de son temps, subit les influences de la modernité. Sa culture est mixte: asiatique et occidentale. Son mode d’expression est né de la fusion des différents courants qui ont parcouru la peinture, notamment avec les révolutions du vingtième siècle: 1’impressionnisme, le surréalisme, l’abstraction et particulièrement l’expressionnisme.

La sculpture est souvent chez les peintres une tentation. Sortir de l’univers bidimensionnel qu’est la peinture pour atteindre la troisième dimension est un complément d’expression artistique. Alixe Fu a élaboré dans son imaginaire des formes et des volumes de la même veine que son oeuvre picturale. Les premières sculptures furent réalisées en bronze. Puis il les fit mouler en résine et les peignit, cherchant à atteindre une plénitude de peinture, non plus sur une surface plane mais dans toutes les dimensions.

Ses inquiétudes existentielles, quant aux sens de la vie, nourrissent son inspiration. De toute cette déstabilisation, de ce déséquilibre dynamique naît sa création. Son oeuvre en est remplie d’âme, tantôt douloureuse, tantôt heureuse mais souvent inquiète.

 

Marc Demoulin

Saint-Prix, le 28 mai 2004

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